Balade irlandaise

Balade irlandaise - Alain Rebord

Au début de l’ascension , vos pieds s’enfonçaient légèrement dans le sol spongieux. Vous avez ressenti un fourmillement subtil qui, des chevilles, est remonté jusqu’au bas de vos reins, vous imprimant d’indicibles sensations.

Puis, le ciel a changé, le sol s’est durci, les bruits se sont assourdis et, peu à peu, le décor s’est transformé. Devant, les falaises se découpaient, comme la silhouette d’une cathédrale de géants. Vous avez ralenti l’allure, impressionné par l’immensité du spectacle, mais aussi par une certaine angoisse, qui, imperceptiblement commençait à vous pénétrer. Ne pas renoncer, continuer …

Monter, monter encore, en mesurant à chaque instant sa fragilité.
Un vol de sternes qui se jouait des vents évoqua en vous un suicidaire désir d’évasion! Puis, il y a eu ce cul-de-sac en forme d’ellipse, inattendu, fermé par trois rochers penchés vers le vide comme de vieilles pierres tombales avachies au travers desquelles passait une lumière diaphane.

D’abord vos pieds les ont touchées, puis vos genoux et après quelques secondes, vous avez osé y appuyer votre poitrine. Après avoir saisi l’arête glacée de ce dernier rempart avant le gouffre, son relief s’est douloureusement imprimé dans la paume de vos mains. Enfin, vous avez regardé. La peur a troublé votre regard jusqu’à ce que, en cillant plusieurs fois des paupières, vous soyez parvenu a rétablir votre vision.

Spectacle gigantesque de la brume qui semble s’enfoncer dans la paroi!

Plus bas, beaucoup plus bas, on peut distinguer les fines aréoles blanches qui cernent les rochers. Le brouillard trouble l’environnement et provoque une intrication magique des éléments. Vision extatique et dangereuse. Il faut voler des yeux ce fantastique décor avant que ne vienne l’engourdissante contemplation de ce paysage. Vite, décoller son ventre d’un cri, comme celui de la mère délivrée, lentement se redresser, ouvrir et fermer plusieurs fois ses mains blanchies, puis redescendre avec la sensation d’un danger évité, mais pas encore écarté. Attention au moindre faux pas, en se gardant de l’irréparable.

A mi-pente, un dernier regard, vers la magie des lieux comme biblique, en direction de Sodome que la brume a déjà recouverte.

Suspendre le temps, entre rêve et réalité comme un moment qui n’est déjà plus.

Des landes monte une fumée au parfum de tourbe comme un intouchable filin qui vient rassurer le promeneur égaré.

« La passe de l’homme seul »
Slieve League , côte ouest . A.R.