Lettre à un ami

En gravissant la combe qui conduit à l’hospice, j’ai pensé à ce rêve étrange…
A tous ces pèlerins, marchands, soldats, contrebandiers et voyageurs, transis de froid, voyant tomber la nuit, qui cherchèrent longtemps avant de voir enfin se dessiner la sombre masse de ce havre au détour d’un sentier.
Etais-je parmi eux?
C’est un site historique, spirituel, aux murs chaulés, faiblement éclairés par des lanternes qui se balancent au bras de silhouettes noires et furtives.
Elles déambulent sans bruit dans d’interminables couloirs .
J’ai souvenir d’avoir alors ôté ma cape alourdie par la neige avant de me rendre à l’office. D’avoir encore partagé un frugal repas avec un saint homme en écoutant crépiter le feu d’une énorme cheminée. N’avoir dit mot en regardant les ombres danser sur le carrelage.
Plus tard, sombré dans un profond sommeil entre les murs de la cellule qu’on m’avait désigné. Imaginé qu’elle formait un vaste vaisseau dont la masse rassurante me semblait flotter dans ce silence absolu qu’une lointaine cloche venait parfois troubler en me rassurant. Au matin, j’ai pensé à ceux du dehors, fauchés en plein effort qu’on allait retrouver au printemps, le visage tourné vers la lumière qu’ils ne verraient jamais plus!
J’ai longtemps regardé la croisée d’ogives qui couronnait le choeur en pensant aux peintres qui allaient l’animer de leurs gestes sûrs, tandis que, plus bas, un chanoine en prostration, couché face contre terre, livrait son corps à la puisssance divine.

Sienne ne serait-elle qu’un rêve?

J’ai repris mes esprits, réuni mon précieux bagage en vérifiant mes couleurs, puis, je suis allé inscrire mon nom et ma destination dans le grand livre des passages aux côtés de mille autres venus de Flandre, de Sardaigne ou de Bohème.
Enfin, j’ai repris ma route en direction du sud, vers l’Italie de mes pairs, vers les chemins de la connaissance.
Ce jour là, je fus ce jeune peintre qui, dans une autre vie, vécu un instant de bonheur que j’ai eu envie de te faire partager.

Bien à toi